Littérature et cinéma - Conseils pour digérer une rentrée Kafkaïenne
- christophealexisbi
- il y a 10 heures
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Dans mon avant dernier article (Le corps étranger), je proposais quelques pistes de lecture à redécouvrir sous le parasol ou en cas de précipitations orageuses. Et plus globalement dans un climat de « violence en milieu tempéré » où cohabitent « stupeur et tremblement » … Le texte rendait hommage aux plumes de Bernanos (Journal d’un curé de campagne - Sous le soleil de Satan) et de Camus (La peste - L’étranger) … Des œuvres incontournables qu’il convient de lire dans l’optique de marier la chaleur de l’espoir et la froideur du diagnostic - et dans l’espoir de réconcilier joie et tristesse ou encore sérendipité et zemblanité, qui dans leurs divorces et mariages d’intérêt sont devenues aveugles et esclaves d’un système d’exploitation global se nourrissant de leur amour contrarié.
Des pistes de compréhension d’ « Une saison blanche et sèche » traversée par des vacanciers « lost in translation » … Avec un sage conseil : « Do the right thing ».
Vous avez probablement remarqué quatre allusions cinématographiques entre guillemets, je vous renvoie à la fin de ce texte pour quelques propositions en matière de septième art.
Ces propositions de lecture et de visionnages suivent volontairement le fil conducteur de mes dernières publications, celles-ci invitant à prendre conscience de l’héritage que nous portons tous au nom d’une croissance mal acquise, d’une expérience adolescente du pouvoir et d’intérêts particuliers prompts à nous faire oublier tout sens des besoins communs. Par conséquent un héritage illégitime, un fardeau matériel et moral qui nous lie dans la servitude réciproque et rend chacun d’entre nous victime des autres et bourreau de lui-même - ou à l’inverse, bourreau des autres et victime de lui-même. Mes écrits comportaient entre autres une série de six articles consacrés à la culture de l’image - images du pouvoir et pouvoir de l’image… Image omniprésente, indissociable de l’instrumentalisation fascisante du pouvoir du langage et des langages du pouvoir : La nouvelle consécration de la bêtise humaine et l’apocalyptique triomphe de la bête savante, possédée par sa vision des nombres et gouvernée par son intelligence artificielle.
Log, logos, langage, image, pouvoir, hermétisme, révélation, apocalypse… Tous ces mots reviennent en leitmotiv dans mes publications parce qu’ils permettent d’ouvrir des pistes de compréhension des causes « opaques » et des conséquences néanmoins « prévisibles » de notre jeune et orgueilleuse expérience de la civilisation.
Afin de mieux comprendre ma démarche, je vous invite à lire mon dernier article (Histoire de pouvoir) :
Certains auteurs ont passé leur vie à déconstruire nos langages, nos architectures physiques et morales et nos mécanismes d’Histoire, ils nous ont aussi facilité la tâche en vulgarisant leurs pensées dans de nombreuses œuvres romanesques incontournables. Bernanos comme Camus maîtrisaient cette « magie » qui consiste à conjuguer l’ordinaire à l’extraordinaire, à l’instar de ces nombreux philosophes et Hommes de science qui parlaient à la matière, aux esprits et aux nombres avec la rationalité qui convient, tout en rendant à Zéro - l’inatteignable, l’infini, l’Eternel - ce qui lui appartient.
Déconstruire et réparer.
Le démon de la perversité, la condition humaine et le retour de la bête… Retour sur l’Affaire Kafka

L’hiver s’annonce, chacun a repris son poste dans les fournaises du Diable (di/able) après une rentrée sous le signe de la résignation, reste à fêter les morts et tous les saints en attendant le retour de l’esprit de Noël - une invitation à redonner sens à nos traditions et en parlant du diable, une opportunité pour mieux appréhender ce terrible et symbolique personnage de la comédie humaine ! Ce malheureux ange déchu dont nous avons vidé les enfers métaphoriques en laissant nos démons s’incarner et régner en rois sur cours et jardins. De bien concrets seigneurs en nos demeures, surveillant sans relâche l’élévation de la Grande Tour et l’avènement de notre paradis artificiel.
Après Camus et Bernanos, j’aimerais attirer votre attention sur trois autres maitres en matière d’affaires ordinaires et extraordinaires : en apéritif, une redécouverte des œuvres de Stephen King, pour faire frémir vos ados ou mieux comprendre la pensée d’un américain torturé par l’Héritage de la conquête des Amériques : tentez donc le « Shining »… Pour le plat de résistance un Edgar Alan Poe s’impose, ce maître des « Histoires extraordinaires » dont Baudelaire avait appréhendé la valeur du langage.
Mais pour l’heure, je tenais à m’exprimer sur un des grands mystères de la littérature : l’Affaire Kafka. Osez « la métamorphose », osez « le procès », « Le château » et la « lettre au père »…

Malgré sa célébrité, son talent mondialement reconnu et l’extraordinaire lueur avec laquelle il a éclairé nos mécanismes ordinaires, Kafka n’a pas publié de son vivant et a bien failli sombrer dans l’oubli sans laisser la moindre trace de ses écrits. Ces derniers ont échappé de justesse au grand autodafé national organisé en Allemagne par les forces du nazisme, mais l’anecdote la plus énigmatique relative à la diffusion de l’infusion kafkaïenne tient des dernières volontés de l’auteur: anticipant son trépas, l’écrivain qui vouait pourtant une passion dévorante au langage et l’écriture a souhaité emporter ses œuvres dans la tombe. Nous devons donc cet « héritage » littéraire à Max Brod qui, trahissant les dernières volontés de son ami, a décidé de sauver ses manuscrits et de les transmettre aux éditeurs.

Kafka est un personnage singulier au pluriel et cet « apocalyptique » anecdote est très significative du dilemme crucial que le personnage incarnait. Je me permets une comparaison avec une œuvre fantastique de type alchimique : dans Le seigneur des anneaux – de J. R. R. Tolkien - tous les porteurs de l’anneau unique de pouvoir finissent par être possédés par sa puissance et écrasés par le poids (gravité ultime dont la lumière peine à ressortir) qu’il représente. Et tous, au moment de s’en séparer se font la même réflexion paradoxale « En fait, pourquoi ne le garderais-je pas ? » - la possession donc, dans les deux sens du terme : l’avoir non pas focalisée sur les relations de l’être et de la « chose », mais sur l’Objet même du pouvoir dont l’acquisition, la possession et les moyens de conservation exclusive conditionnent et aliènent le corps et l’esprit de tout être directement ou indirectement soumis aux attributs de l’Objet.
Kafka faisait partie de ces penseurs qui ont approché cet anneau dont la nature impénétrable et extraordinaire nous dépasse et semble nous pousser irrémédiablement vers la descente aux enfers. Ce n’est pas le pouvoir qui obnubilait Kafka, mais le poids de ce fardeau dont nous avons tous hérité sans le reconnaître. Ce n’est pas d’être sorti de la caverne pour voir l’ombre et la lumière qui torturait l’auteur, mais l’ingratitude de ses semblables vis-à-vis des visionnaires qui tentent d’y revenir à des fins d’enseignement pourtant salutaire.
Objets du pouvoir et pouvoirs de l’objet :

En mathématiques les corps et les anneaux sont des structures algébriques ou géométriques fondamentales qui rendent possibles les opérations. Tout comme la découverte du Zéro en tant que valeur sémantique et mathématique, la reconnaissance de ces « objets » a permis de franchir un cap en matière de physique : entre autres la maitrise des principes et des lois d’interaction entre le vide non vide et les particules élémentaires ou complexes : des ensembles et des sous-ensembles formant ce Tout inaccessible dont la nature immanente nous entoure et nous constitue. Bien qu’elle en soit encore l’instrument, la science n’est pas la politique et sa quête des anneaux n’a pas pour but de gouverner la nature mathématique de l’univers, mais de la comprendre pour éviter les conflits de croyances et accepter la place qui est la nôtre dans un univers déterminé. Il ne s’agit donc pas d’instrumentaliser les attractions, les associations, les multiplications, ainsi que les oppositions, les conflits et les divisions pour satisfaire de quelconques intérêts particuliers, mais au contraire de nous accorder sur une idée commune de la vérité, extirpée des forces de l’ordre et du chaos définissant la nature humaine et les « cosmes » qui l’entourent et la constituent. C’est dans les affres de la politique du glaive que l’anneau unique de pouvoir fut forgé, garantissant puissance, omnipotence et capacité d’influence sur la matière et les esprits, ainsi que l’invisibilité que ce dernier procure à ses possesseurs une fois que le nombre leur est acquis, imaginant tirer parti des multiples pouvoirs procurés par l’Objet. Nous retrouvons là l’effroyable, merveilleuse et extraordinaire histoire du Christ, qui se dressa en révolutionnaire entre les siens, précurseurs du monothéisme (Dieu 0), et un Empire romain qui finira par admettre la portée d’un tel concept et par l’instrumentaliser à des fins tristement politiques.
Pour un esprit corrompu par l’exercice du pouvoir, tout autre sachant concurrent est un ennemi qui cherche lui aussi à s’accaparer l’anneau. Quant à la foule, elle est irrationnelle, ingrate, compétitive, avide et domesticable… Le gouvernant imagine maîtriser l’anneau, le gouverné imagine en profiter. C’est dans la souffrance et par la souffrance que nos pères ont acquis « l’objet unique » et nul autre que MOI/NOUS ne semble le mériter. La souffrance est mienne / nôtre dorénavant… Pourquoi ne le garderais-je pas ? Sur l’échiquier de la politique intérieure et extérieure, le jeu des premiers et des derniers relève de l’apocalypse : dans l’exercice du pouvoir, le vainqueur s’agrippe à son anneau et en conserve les « secrets » jusqu’à la mort… Le perdant quant à lui cherche à s’en emparer de nouveau, pour ressentir la grandeur qui fut la sienne …. Alors que l’intellectuel (ou l’artiste responsable), en penseur honnête, cherche à s’en séparer en restituant ces mêmes « secrets » au plus grand nombre. Nombre qui bien malheureusement préfère tout mensonge à une vérité qui lui rappellerait sa soumission au pouvoir, ainsi que ses responsabilités sur l’échiquier causal de la souffrance. Le roi et le voleur font donc la paire et règnent sur les masses en moteurs d’un progrès pourtant bien mal acquis.
Ayant approché cette boîte de Pandore dont l’ouverture reflète la malédiction du « couple originel » et la libération des enfers de Dante, les penseurs les plus sensibles ont emporté ce fardeau dans la tombe, par force de désespoir.
Petit retour sur l’univers Kafkaïen :
Kafka s’interroge sur le sens du progrès – L’Homme du futur, sa réification « positive » et le mystère de son « devenir » animal. Le retour de la bête en l’Homme est-il un mal pour un bien ? Un mouvement d’évolution et d’involution conjointes, susceptible de nous ramener aux origines des maux qui nous hantent ? L’évolution c’est le progrès, les découvertes et leurs applications matérielles ; l’involution c’est le cancer de la condition humaine, la maladie dégénérescente du singe savant gouverné par ses propres créations et croulant sous le poids de sa propre expérience.

Les œuvres de l’auteur suintent d’une mystérieuse morbidité, d’un espoir en perdition ou d’un effort humain paradoxalement voué à l’échec, pouvant nous rappeler la malédiction de Sisyphe. En filigrane, les tableaux littéraires de l’auteur nous invitent à appréhender le problème que nous avons à exprimer et à nommer justement les choses avec le langage !
Ses écrits reflètent ouvertement le dilemme du déracinement permanent imposé par la société moderne, ainsi que celui du libre arbitre, un complexe que les autorités religieuses passéistes et les sciences politiques modernes n’ont pas encore résolu. La science nous démontre que le libre arbitre n’existe pas en tant que liberté décisionnelle réelle et entière, mais en tant que « plus ou moins libre arbitrage », c’est-à-dire une marge de manœuvre décisionnelle dans un monde déterminé qui fait de nous ce que nous sommes, mais dont nous pouvons apprivoiser les forces en appréhendant au mieux les mécanismes de cause à conséquence. Validant la pensée d’un Spinoza la science moderne apporte donc une nouvelle pierre à l’édifice, mais parallèlement elle participe à cette révolution technologique permanente qui nous aliène et nous conditionne autant (si ce n’est plus !) que les anciennes croyances sémantiquement orientées vers la détermination de forces supérieures (ou du plan divin). « Plus » parce que la religion inspirait craintes et contraintes vis-à-vis d’une ou de plusieurs divinités, tout en nous rappelant sans cesse les principes de vertu et de bonne morale. Bref, un système fort, dogmatique et autoritaire, mais dont le bâton « inexpliqué » motive une certaine désobéissance silencieuse. À l’inverse, les obligations de résultat de la société matérialiste moderne nous font voir les démons métaphysiques comme imaginaires et ne servant qu’au spectacle organisé pour nos loisirs… Elles nous poussent vers le plaisir et la récompense permanente après le labeur consenti et nous exonère de tout poids moral, voir éthique, tant que nous ne nuisons ni à l’économie, ni aux lois sociales fixées par l’entité gouvernante. Une pente bien huilée, facile, et donc un glissement à accélération exponentielle, qui ne résout pourtant aucunement le problème du libre arbitre en tant que responsabilité individuelle et collective.

Kafka semblait particulièrement sensible aux mains invisibles qui nous gouvernent. Il avait conscience que les pouvoirs multiples, tirés de l’instrumentalisation des anneaux et caractérisant la surcroissance de toute entité sociale, étaient sous l’influence de cet anneau unique qu’est le pouvoir du langage. Pouvoir dont l’orgueil humain ne cultive que le versant fascisant. La condition juive de l’auteur le ramenait à la construction de l’écriture alphabétique, à l’importance mathématique et sémantique des relations entre les lettres, les chiffres, les nombres, les formes et la musique… Et à la découverte du zéro sémantique : Dieu unique. Des données à la fois métaphysiques et physiques, disons matérielles, qui constituent un fardeau lourd à porter pour un jeune « Frodo Bag/gins » doté d’une mémoire préservée et d’un esprit visionnaire. Un fardeau qui vous rend invisible aux yeux des autres, un don qui pourrait paraître précieux mais qui vous fait passer inaperçu comme Cassandre, au sein d’une société que vous pourriez pourtant instruire des dangers qui la guette, de l’origine même de sa perdition et de la possibilité de déconstruire et de réparer. Réparer pour éviter le pire et pour sauver « au moins » ce qui peut l’être « encore ».
Un fardeau qui nécessite tant d’efforts et attire tant d’ingratitude, que le corps et l’énergie vitale du penseur foutent le camp. Ici le penseur dont nous parlons, c’est Kafka, mais globalement, le penseur, le frodo Baggins, le roi déchu, le mage victime du ministère de la magie (…) c’est l’Homme.
CAB
Epilogue et petits conseils cinématographiques :
Attardons-nous encore quelques instants dans les jardins du Diable, dans l’extraordinaire, dans l’inexpliqué…

Faut-il le dire, le fantastique et l’épouvante sont au goût du jour, flanqués d’une surenchère d’effets spéciaux et de violence, bien malheureusement. On s’inquiète de la culture des super-héros sur la petite enfance, on s’inquiète de la banalisation de la brutalité dans l’univers des adolescents. Pour exemple, nombre de collégiens ont partagé entre potes le fameux Squid game avant l’âge requis, la série a fait le buzz et ses réalisateurs se sont même permis d’augmenter leurs royalties en acceptant la création d’un jeu qui dénature totalement la philosophie à peine dissimulée de leur création … Ne les blâmez pas trop vos enfants pour suivre l’air du temps, au risque de faire choc mou et de vous tailler un costard de grincheux ringard obsolète. La violence devient omniprésente, elle s’impose et comme les écrans portables qui la véhiculent « faites la sortir de votre demeure par la grande porte et elle reviendra par la fenêtre », sous la pression extérieure qui s’exerce continuellement sur vos grands et petits protégés. Nous avons subi les tentations de l’âge bête nous aussi ! Notons qu’en tant que produits de consommation, la violence, la liesse et la pornographie sont des exutoires cathartiques auxquelles nous sommes habitués depuis l’Antiquité. Liés au circuit de la récompense, les jeux et le spectacle de la cruauté favorisent le consentement des masses. La banalisation du mal est donc une maladie politique propre à l’abus de pouvoir, un virus qui s’enracine dans nos fondations culturelles depuis l’Antiquité. Comment interdire un fruit que l’on cultive depuis le berceau en tant que moteur de notre croissance ? Dans ce contexte, la prohibition pure et simple n’a pas de sens, reste à diagnostiquer, à démystifier, à enseigner ! Concernant Squid game, avertissez vos enfants que la série est une fiction de la réalité discrète, autrement dit un envers honteux des décors du drame humain : les coulisses de notre paradis artificiel, ainsi que les démons que nous cachons derrière notre bonne conscience. Avertissez-les que lorsque la foule s’habitue à la culture du sang dès le plus jeune âge et quelles que soient les mises en scène, elle est soumise par conditionnement à la banalisation des maux les plus obscurs. Ainsi elle se trouve inconsciemment préparée à reproduire l’horreur un jour ou l’autre, sous l’effet d’un déclencheur quelconque. Néanmoins la série n’est pas qu’un grand guignol gratuit pour ados en mal de sensations, mais un essai volontairement choquant sur le thème du CONSENTEMENT dans le processus démocratique. Piquez-vous au jeu et osez leur faire un parallèle entre cette allégorie sanglante et la violence tempérée mais non moins perverse de notre mode de vie capitaliste. Profitez-en pour faire le point entre amis, entre adultes avertis, avec notre bien-pensance commune.

Côté cinéma, évitez-leur le fatras de nanars d’épouvante très en vogue en leur proposant des réalisations « vintage » qui tiennent la route… Quelques exemples : Barton Fink (Frères Cohen), l’Associé du diable (Taylor Hackford), Stigmata (Rupert Wainwright), le témoin du mal (Gregory Hoblit), Sixième sens et Phénomène (M. Night Shyamalan), Seven (David Fincher auquel on doit l’étonnant Fight club), Dracula (FF Coppola), Entretien avec un vampire (Neil Jordan) et la trilogie axée sur le personnage d’Hannibal Lecter (Le silence des agneaux - Hannibal - Dragon rouge)… À voir aussi, la version cinéma de Shining (Stanley Kubrick). Côté violence, drogue et mode gangsta, évitez-leur la gratuité ambiante en les orientant plutôt vers Menace to society (...), Clockers (Spike Lee), Transpotting (Danny Boyle) ou dans un autre genre : Blindness (Fernando Meirelles).
En début d’article, je faisais référence à Violence en milieu tempéré (Jean Marc Moutout) - Stupeur et tremblement (Alain Corneau) - Lost in translation (Sofia Coppola) - Une saison blanche et sèche (Euzhan Palcy) – Do the right thing (Spike Lee, dont je conseille aussi She hate me, La 25ème heure, He got game )… N’hésitez pas à voir et revoir ces films en famille avec vos plus de 13 ans - du moins si la culture du portable et la loi des séries fantasmatiques ont laissé à vos ados une once d’intérêt pour le cinéma d’auteur. Faites leur donc oublier quelques instants la grande catharsis vide de sens qui participe à l’autodafé littéraire et audiovisuel de ces deux dernières décennies ! Et au passage, après quelques belles soirées philosophiques, offrez-leur « Les cerfs-volants de Kaboul », « Le cochon de gaza », « Valse avec Bachir »… Ou encore « La guerre selon Charlie Wilson», « Munich », « Le pianiste » et « La liste de Schindler » pour ne pas bouder les grosses productions… Et à titre instructif, je ne peux que conseiller le documentaire Israël et les arabes 1948-2005 de Norma Percy et Brian Lapping.
Regardez plus loin à l’Est et faites-leur découvrir Le tombeau des lucioles (animé du talentueux Hayao Miyazaki), L’empire du soleil (Stephen Spielberg), 7 ans au Tibet (Jean-Jacques Annaud), Trois saisons (Tony Bui), Good morning Vietnam (Barry Levinson), Mémoires d’une geisha (Rob Marshall) et Printemps, été, automne, hiver… et printemps (Kim Ki-duk) et … Et finissez en allégresse avec L’odeur de la papaye verte (Trân anh Hung) et Samsara (Pan Nalin).
Nous effectuons un vol au-dessus d’un nid de coucou, Border airline vous conseille de détacher vos ceintures et d’accepter l’apesanteur…

Actualité ne se décrypte pas sans un retour sur la Grande et les petites Histoire(s), « DéTrumpez-vous » donc un peu devant « Trois enterrements » (de Tommy Lee Jones) et pensez relatif avec « 12 hommes en colère » (Sidney Lumet). Pour retrouver le sourire regardez The big Lebowsky » et l’incontournable O brother des frères Cohen, ou embrassez de nouveau la formidable Histoire de Forest Gump (Robert Zemeckis) … Si la magie a suffisamment opéré pour séparer quelques instants vos ados de leur portable, offrez leur quelques « belles échappées » avec Benny and June (Jeremia S Chechik), Gilbert Grape (Lasse Hallström), Smoke (Wayne Wang), Bagdad café (Percy Adlon), Carnet de voyage (Walter Salles) ou Lisbonne story (Wim Wenders).
Côté série américaine, « The chosen » (Dallas Jenkins) vous ramènera aux origines du nouveau testament, vous y verrez un Jésus accomplir des miracles dont la série a malheureusement éludé le caractère symbolique. L’œuvre n’en pose pas moins la question de la double nature de l’être et de l’unité du « fils de l’Homme ». Mais pour ne pas négliger la part du diable, regardez aussi « Yellowstone » (Taylor Sheridan, John Linson…), qui vous dévoilera sans concession les points de fractures et les paradoxes d’une civilisation judéo-chrétienne en déclin. En filigrane la série nous renvoie au fratricide de Caïn dont la lignée prospère et civilisatrice demeure marquée par le meurtre d’Abel, le berger nomade avec lequel le dialogue n’a jamais eu lieu. Au programme, l’illusoire vision positive du progrès, les valeurs d’une démocratie mal acquise, la voracité des moyens au détriment des besoins, le crime et les châtiments, les cadres de loi menant du talion au pardon non sans hypocrisie… Et le marquage de la bête humaine dans une culture de la domestication intensive sous le signe et l’image omniprésente de l’Empire. L’Empire et son intelligence artificielle qui nous gouverne tous. Yellowstone se déguste amèrement avant ou après avoir vu 1883 et 1923, qui relate la « férocité blanche » et sa sanglante conquête de l’Ouest au nom de la « Lumière ».
Enfin, pour relier la grande et la petite histoire, pour rendre hommage aux petites choses effacées par l’image de la grandeur qui s’impose à nous, n’hésitez pas à visiter toute la filmographie de Ken Loach.
En ce qui concerne les réalisations françaises, vos grands enfants devraient encore supporter La guerre des boutons (Yves Robert) et éventuellement L’enfant sauvage (un incontournable film de François Truffaut). Trop vieillot pour eux ? Tentez donc Un air de famille (Cédric Klapisch) ou Deux jours à tuer (Albert Dupontel) … Pas assez visuel, pas assez Punchy ? Tentez Berny (Dupontel) et penchez-vous donc sur les filmographies de Jean-Jacques Anneau, Jean-Pierre Jeunet ou Jacques Audiard. N’hésitez pas à leur faire gouter les scénarios et dialogues de Michel Audiard et replongez-vous dans les comédies de Francis Veber.

Un programme « entre ciel et terre » qui pourrait procurer une belle alchimie à toute la famille, pour digérer une rentrée difficile dans un chaudron politique dont les mises en solution empiriques s’annoncent explosives. Loin d’être exhaustive et n’ayant aucune prétention intellectuelle pompeuse, cette liste rend hommage à un septième art populaire qui peine à assumer sa propre révolution ainsi que l’intelligence artificielle de la « bête améliorée » du troisième millénaire. Certaines œuvres citées ici représentent un cinéma « en voie de disparition » qui méritent d’être (re)découvert par des ados pour lesquels ce genre de « trip de daron » risque l’obsolescence programmée. Un cinéma qui se passait pourtant de haute définition pour demeurer signifiant, mais qui semble ne plus faire le poids devant une imagerie omniprésente - exclusive et addictive - ne véhiculant plus que sensationnalisme, violence, grossièreté invasive et vaniteuse médiocrité (…), dans une surenchère permanente ultra pixélisée. Une culture sans mémoire invitant le moi et les autres à se mettre en image, à se pavaner sur la grande scène du petit écran et à se consommer sans vergogne, dans une orgie globale dont les convives insatiables voient leurs coupes et leurs assiettes remplis à volonté par un délectable vide.
Nous revoici face au pourvoyeur de tentations, face à ces enfers existentiels qui ne sont que l’entropie de nos mauvais choix individuels et collectif, puissions-nous nous définir ou être défini comme serviteur(s) du bien ou du mal. Les innombrables variables de la causalité nous échappe nombre est puissance, et la foule engendrera toujours un mouvement à part entière tendant à échapper au contrôle des individus qui la compose la masse ou tentent de le gouverner. C’est un fait dont la nature s’est accommodée en créant un équilibre systémique que seuls les volitions, le pouvoir et l’intelligence humaine s’affairent à rompre. L’Homme, investi par le pouvoir que lui procurent la parole et l’écriture, Homme qui possède une influence sans pareil sur la matière inerte et vivante. De fil en aiguille ce bon vieux diable nous conduit à reposer ensemble la question du libre arbitre humain et de ses responsabilités dans un univers déterminé ; la question de la légitimité de l’autorité et de l’obéissance ; la question du rôle de l’état et la question du bien commun non limité aux intérêts particuliers de l’Homme.
A nous de redonner sens à l’avoir, au savoir et à l’action, à l’économie donc, à l’école et au travail. A nous parents, professeurs et administrateurs, à nous patrons, ouvriers, gouvernants ou gouvernés (…) de nous libérer du poids de nos propres architectures physiques et morales… De nous libérer de l’héritage d’un empire dont l’IA ne fait que perpétuer une fausse image du pouvoir et une croissance mal acquise. Et faut-il le dire, un progrès sous le signe de la servitude volontaire, de l’exploitation hypocrite des inégalités et du fratricide eugéniste. A nous peuples et partis pris concurrents, nations dîtes glorieuses ou nations jugées perdantes, de nous libérer de ce grand marché sans âme dont la détermination mécanique nous uni par la financiarisation du conflit, de l’échec dialectique et de la servitude réciproque. Une arène dans laquelle aucun empereur n’a jamais été légitime, une main invisible sans dieu ni maître, récompensant inégalement les premiers et les derniers, qui au final se retrouvent tous nus et égaux face à la mort. Plaçons donc cette rentrée sous le signe de la fraternité et du « libre arbitre », une liberté relative pour un arbitre qui ne devrait s’incliner que devant la détermination des lois unissant les vivants entre ciel et terre et non devant les déterminismes arbitraire de la comédie humaine.
CAB et H.C Black's
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