Le philosophe roi semble un monstre aux yeux de l'ignorance dont il tente de protéger l'innocence, de toute instrumentalisation par l'intelligence. CAB
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Nietzsche et la ligue des super-méchants...
A la simple évocation de Nietzsche, les gens s’enfuient, crient au scandale, au bourreau, au nazi… Ou s’éclipsent par la porte de derrière, côté jardin, comme à l’appel du professeur de mathématiques. Les amateurs de pensée à la carte (à chacun son menu) s’émeuvent dans l’autre sens, satisfaits d’avoir plus de part de Nietzsche pour eux.
Nous reprenons ici une réflexion du penseur polémique : les gens ne veulent pas parler ou entendre parler de la vérité, ne serait-ce que pour protéger leurs illusions. Une problématique des plus importantes au regard du bilan consumériste d’une humanité qui détruit la nature en toute bonne conscience, tout en nommant « vulgaires sauvages » ceux qui y vivent en harmonie. Pourtant, le philosophe et sa célèbre citation ont un nombre de détracteurs étrangement croissant depuis les miracles d’individualismes du néolibéralisme et d’autant plus depuis la multiplication de nombreux syncrétismes « positivo-positifs » comme le New Age.
Apparemment c’est à chacun sa vérité ! Une pensée si populaire qu’elle en devient une source de sophisme absolu et une douce, positive tyrannie ! Populaire donc, ne serait-ce que parmi ceux que la pensée unique et « le complot » effraient, ou parmi les philosophes de salon qui prennent encore les propos d’un Schopenhauer au premier degré. « Le monde comme volonté et comme représentation », un point c’est tout. Pour faire un peu d’humour, reste à définir ce que signifie un point c’est tout…
Tentons de dissiper le quiproquo :
Bien que le monde et la compréhension totale de ce dernier soient toujours au-delà de ce qu’un individu peut appréhender, ce qui signifie vulgairement que chacun voit midi à sa propre pendule (faits clarifiés par Schopenhauer), cela ne sous-entend pas que la vérité est une notion qui ne fait pas sens, qu’il n’existe pas de vérité et qu’il convient donc de nourrir chacun la sienne. Pour exemple : en affirmant que la terre était plate, les autorités religieuses de l’époque avaient tort et se sont rendus responsables de nombreuses persécutions absurdes. Ou en clamant au premier degré « A chacun sa vérité, les nouveaux amateurs de New Age légitiment autant leur positive attitude que celle d’un vulgaire néonazi. C’est pourquoi Schopenhauer, tout comme Spinoza ou Nietzsche et tant d’autres invitaient la foule et ceux qui la gouvernent à dépasser ce phénomène de « différents midis selon les pendules » en exhortant chaque propriétaire d’horloge à transcender la leur sans cesse jusqu’à la mort du mécanisme, à faire de l’erreur une enseignante, une leçon d’humilité et à offrir en partage le meilleur de soi-même.
Le monde comme volonté et comme représentation (œuvre et leitmotiv attribué à Schopenhauer), ainsi que la nécessité de force rhétorique pour le philosophe, pourrait ressembler à un cours de « power coaching » pour penseur en mal de force d’affirmation… Et pour cause, à travers ces exercices de performation du soi, le maître à penser décortique allègrement les principes dialectiques menant à la victoire, puissiez-vous être au service des autres, de la vie ou un fieffé salopard. Salopard, prédateur, grand méchant (…) Néanmoins il s’agit une fois encore d’une vision au premier degré, d’un cliché populaire. Lorsqu’il est maître de son domaine, le philosophe n’ignore pas que les monstres engendrés par une « société de bien » font souvent office de révélateurs de problèmes de fond ou de régulateurs, de cette même société bien-pensante… Et tout Homme averti sait qu’en conservant exclusivement le secret de leur progrès, le roi et le gendarme engendrent ipso facto un progrès proportionnel chez le prince des voleurs. Concevoir une exclusivité sur les armes et le progrès avec lesquels vous dominez le monde en imaginant qu’ils demeureront à votre service n’est pas plus sage que de demeurer dans l’archaïsme et de dissimuler la terrible puissance du langage des sciences et des arts, en imaginant que personne ne les découvrira un jour.
Nous retrouvons la même « ironie d’un pouvoir mal acquis » en ce qui concerne le complexe moral et intellectuel des scientifiques ayant conçu les premiers l’arme dissuasive nucléaire. Loin d’être un marchand d’armes (disons de pouvoir pour ceux qui n’apprécient pas l’humour de second degré), loin d’être un machiavel qui vend son talent dans tous les camps, et à 1 000 lieux de prendre un parti quelconque pour les méchants ou les gentils, Schopenhauer précisait simplement que si les philosophes veulent que vérité triomphe, ils devraient supporter en eux tout le poids des armes, tout en demeurant nus. En d’autres termes être capables d’être le petit qui en un point contient le grand tout en gardant la main ouverte. Un physicien dirait qu’il s’agit là d’appréhender l’ensemble des forces faibles et les forces fortes qui composent ce monde d’atomes et de volitions humaines conflictuelles, pour éviter une volonté/représentation arbitraire et collective, vouée à l’incident nucléaire.
Toutes ces métaphores pour dire : Nietzsche ou Schopenhauer n’était pas du genre à infantiliser leur prochain et n’avaient pas plus de pitié pour le maître que pour l’esclave. Refermons la parenthèse.
Pour articuler autrement cet d’article, plaçons-nous en avocat du bon et gentil diable pour affirmer une opinion que nous relativiserons ensuite en adoptant de nouveau une position neutre et conciliante.
« Nietzsche est un philosophe moyenâgeux qui nous emmerde, un type qui ose signer « Vérité » sur son marteau personnel avec lequel il nous cogne la tête sur une enclume. Sa condescendance intellectuelle n’est pas différente de celle de cette bourgeoisie qui rabaisse le peuple. Il est donc aussi tyrannique qu’un évêque obscurantiste, malgré ses opinions sur la question, et sa philosophie est un terreau fertile pour le fascisme. A tous ces tyrans de la pensée, il s’agirait de dire merde, laissez-nous nos belles illusions ! Et STOP avec cette zemblanité qui nous fout les boules, alors que la sérendipité nous donne de la démocratie, des congés payés, des voitures dans chaque foyer, des téléviseurs et même de petits écrans plats qui font notre bonheur quotidien et tiennent dans notre poche…Notre bon vieux monde a fait ses preuves !
Partons donc de cette dernière phrase, très populaire dans les zones de confort, de conformisme et de bonne conscience… Mais qui en soi, ne veut rien dire. :)
Le monde qui a fait ses preuves c'est celui de l'inerte et du vivant, ayant trouvé un équilibre durable au fil de milliards d'années. Quant à celui des Hommes, il représente pour l'instant l'équivalent d'une crise d'adolescence qui pousse à se demander si le gamin va périr dans son bordel ou pas!
Si vous avez de belles pensées, que vous n'êtes pas égoïste et veillez à préserver l'enchantement du monde, vous n'êtes pas nécessairement bercé d'illusions et vous pouvez bien être plus nietzschéen que vous ne le pensez.
Il existe une confusion quasi interplanétaire à propos du « monstre philosophe »: les illusions que condamnait Nietzsche, étaient celles de l'obscurantisme et du dogme religieux, ainsi que toute croyance qui pousse les Hommes à s'exploiter les uns les autres ou à se soumettre à la servitude volontaire. Ceci ne faisant qu’aggraver toute tentative de contrôle de la puissance du nombre et du caractère irrationnel de la foule. Ce phénomène de servitude aveugle ou volontaire n'entraîne pas la préservation d'un monde enchanté que les « bien-pensants » défendent, bien au contraire, il préserve les dominants et les privilégiés dans un confort matériel dont le prix est le poids de la souffrance et de la guerre que les dominés vivent de plein fouet.
A propos du nihilisme, autre sujet à quiproquos…
Le nihilisme de Nietzsche consistait non pas à détruire la pensée mais à mériter la plénitude de l'absence de pensée. En outre, Nietzsche tenait en très haute estime la philologie qui est fort probablement le plus haut effort de la pensée, puisqu’il s’agit de la déconstruire de façon épistémologique jusqu’aux moindres particules de langage avec lesquels elle s’exprime. La philologie est une passerelle entre la religion, la science, la politique et les arts. En d'autres termes, un pont entre l'abstrait et le matériel, entre l'esprit et la matière, entre le temporel et l'éternel...
Vraiment pas de quoi désenchanter le monde, bien au contraire !
Quant à la déconstruction à laquelle la pensée nietzschéenne et la philologie font allusion, elle ne consiste une fois encore pas à détruire mais à "décomposer" le langage et l'entité sociale, comme un mécanicien qui ne démonte pas réellement le véhicule mais identifie chacun des éléments qui le composent et chacun des mécanismes responsables des interactions cohérentes ou conflictuelles. A des fins de réparation cela va sans dire.
Nietzsche était un philosophe torturé qui s'exprimait tout aussi tortueusement et sur lequel l'on a dit beaucoup de choses biaisées et incomplètes, j’espère que cet article aura dissout quelque uns de ces quiproquos.
CAB & HC BLACK'S
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