L’Homme bête et son image – Partie 1
- christophealexisbi
- 20 juin
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 juil.

Le temps du passage à l’acte :
Le pervers narcissique profite du silence des agneaux, le prédateur connaît les failles du système, le violeur porte le costume de monsieur Toulmonde, tandis que les découpeurs de l’ancien monde sont au Panthéon et que leurs descendances profitent de la compétition d’aujourd’hui… Et les faiseurs de guerre jouissent d’une retraite dorée dans un monde pacifié. Inversement les victimes d’hier deviennent les stars du moment et crachent leur haine pour le bonheur du grand public, les femmes deviennent des hommes comme les autres, les enfants deviennent rois et les parents esclaves… Et les adolescents ne respectent plus leurs enseignants, des ados qui côtoient la violence, la vulgarité, la moquerie, la sexualité débridée et un univers virtuel où tout, absolument tout est consommable…
Des meurtres infâmes pour de futiles raisons, des combats de rue filmés, des hommes et des enfants à bout de nerfs qui se procurent une arme et tirent dans le tas, des profs agressés ou tués par des élèves ou des parents… Des pornophiles qui recrutent sur les réseaux pour faire prendre leurs femmes par des inconnus, réalisant ainsi des fantasmes que notre société d’images suggère sans filtre…
Des faits divers, en grand nombre, mais des faits divers, de simples faits divers – dit-on.
La société engendre des monstres, certes, mais qui s’en étonne ?
Le mal qui nous ronge bénéficie du processus de l’habitude et du circuit de la récompense – c’est la loi de la domestication, quelles que soient les bonnes ou mauvaises intentions du maître.
C’est aussi le résultat du "choc perpétuel" tempéré par une société de plaisir. Entendons par là une usine à bonheur matériel pour la quelle le citoyen travail à plein temps, non pour guérir les maux engendrés par nos modes de vie, mais pour en soulager les symptômes.
Le temps n'est plus un "présent" à accepté pour prévenir le futur en fonction du passé, mais une MONTRE, une pendule que nul n'est censé ignorer, un chronomètre qui orchestre nos obligations et nos plaisirs à la minute près. Le petit cadran n'est pas le seul objet dont nous ne pouvons plus détourner notre attention, dorénavant le spectacle, les jeux et l'information se diffusent perpétuellement eux aussi, à travers des écrans dont nul n'est censé se passer.
A propos du septième art et de la grande catharsis audiovisuelle : dans les années 70 les pouvoirs publics se sont réunis pour répondre au problème d'éthique posé par la régulation ou la dérégulation du marché offert par la nouvelle ère du langage, de la communication et de l'image. Concernant le choc perpétuel de l'information entre deux pages de pub, ou l'arrivée en grande pompe de la violence et de la pornographie sur le petit écran familial, ils ont estimé que la diffusion virtuelle de nos pires penchants serait un moindre mal qui éviterait le passage à l’acte. Force est de constater que la pilule n’a agi qu’à très court terme ! Il faut dire que les avocats du diable avaient de bons arguments : le tabac et l'alcool ont fait leurs preuves pour compenser le poids de l'horreur et de la servitude, mais la télé pour tous comporte bien moins de risques : le petit écran possède un fort pouvoir addictif et aliène l'esprit, certes, néanmoins il ne rend pas malade - un point fort en matière de dépense pour la santé publique. En outre, il permet à l'égo de s'apaiser et de se replonger - au choix - dans la violence, le drame ou la comédie de la condition humaine, et cela sans se sentir directement concerné... Abordons le sujet sous un autre angle : conçus pour être tentateurs, les fruits du désir et du loisir ne sont pas accessibles à tous, laissant pour compte les porteurs de ces maladies honteuses que sont la pauvreté, l'isolement, le handicap et la laideur. Or, en matière de frustration ou d'envies perverses les plus inavouables, la vidéo ouvre un champ illimité et donne accès à un soulagement en toute intimité. Et CQFD, bien plus efficace que l'imprimerie et la radio, la télé est aussi un parfait outil de propagande continue !
La stupéfaction face aux faits divers générés par nos démons n’est plus qu’une catharsis éphémère qui rime avec la banalisation des enfers qui nous rongent.
L’Orgueil humain maudit l’anneau de pouvoir qu’il a acquis avec tant de souffrance, mais il le vénère aussi, comme tout à chacun se retrouve à la fois contrarié et possédé par sa bagnole ou son téléphone portable… Objets incontournables liés au tout puissant POUVOIR d’achat - objets inertes sans lesquels le vivant imagine ne plus pouvoir se mouvoir de lui-même - objets sans lesquels notre moi ne serait plus rien aux yeux des autres - objets sans lesquels notre société « bienveillante » le condamnerait à une mort sociale.

Indignés, mais impuissants :
Bien qu’elle soit plus que légitime, lorsque l’indignation sort des domaines du matraquage médiatique, de la propagande ciblée et de la catharsis audiovisuelle, elle fait mauvais hôte. C’est pourtant dans ces domaines qu’elle devient autosuffisante et qu’elle contracte les faiblesses qui la rendent stérile, avec pour conséquences la banalisation des maux et des crimes commis au nom de l’expérience humaine… Les réseaux sociaux sont un parfait exemple de cette "mise en culture" - de cette marchandisation - de l'état de confusion global : l’indignation y gagne en popularité et en interactions lorsqu’elle est cathartique et sans lendemain, lorsque le contenu est « bien emballé », court, simple, choquant et croustillant à souhait. Peu importe la valeur philosophique du signifié tant que la rhétorique séduit et tant que le signifiant est vendeur. Symbole de la libre expression, vendue comme un progrès au service de l'humanité, l'hyper connexion ne fait qu'étendre le domaine de l'abus de pouvoir des uns sur la bêtise des autres. Pour convaincre, un influenceur doit incarner une IMAGE séduisante, savoir jouer des faiblesses d'autrui, attirer l’œil des intérêts particuliers (...) Et les moyens ne manquent pas pour que chacun puisse imaginer avoir son heure de gloire ! Avec l'IA la bête humaine est assistée dans sa volonté d'animer son image et de se faire voir et valoir dans le grand marché des opinions. Pour être un bon influenceur, il s'agit de comprendre que la guerre des JE et des NOUS, c'est le nerf de l'économie ! C'est un complexe dialectique que la politique n'a pas résolu, mais instrumentalisé : la compétition féroce que se livrent les volitions particulières constituent un puissant levier financier qui se combine opportunément avec les forces de l'ordre et l'instauration d'accords de cohabitations tacites pour donner l'illusion d'un intérêt général. Et lorsqu'on regarde par deux fois cette extension profitable du domaine de la lutte, comme un arène rentable désormais ouverte à tous, il s'agit là de capitaliser sur l'ensemble des péchés capitaux pour lier les Hommes -corps et âme- à une expérience consumériste à l'échelle globale. Juste milieu, équilibre, équité, éthique, accord explicite, concorde et harmonie ne valent plus un clou, ce qui rapporte c'est de miser sur le conflit et sur ce que les partis-pris veulent entendre. La recherche de la vérité, c'est le calvaire du philosophe, un chemin de croix que l'influenceur, les partisans, le démagogue ou le simple vendeur, n'a pas à assumer. A ce jeu pervers, la gouvernance est un abus de pouvoir, la maîtrise une science sans conscience, l'obéissance une soumission coupable et l'entité sociale un corps d'état corrompu dont les organes sont voués à la dégénérescence.
Un pouvoir borgne dirigeant une foule d'aveugles ne peut engendrer qu'une culture de cancres***.
Dans ce contexte, l'offre et la demande partagent une servitude réciproque, tout comme le maître et l'esclave ou le sachant et le profane. La paix et la démocratie ne sont ici que des parenthèses dorées que l'on fait durer par empirisme, entre deux guerres et entre deux dictatures, d’ère en ère, jusqu'à ce que les armes, les chiffres et la haine deviennent tout-puissants.
***Notons que cancre est l’anagramme de Cancer : depuis l'Antiquité cette maladie porte ce nom parce que la forme tentaculaire de la tumeur ressemble à un crabe, cette petite bête capable de tuer un éléphant. Le cancer indique le développement de cellules dégénérescentes… Et son anagramme "cancre" porte la même étymologie... Le hasard n'a pas sa place ici.

Pouvoirs du langage et langages du pouvoir :
En tant que fondation architecturale de l’art du logos découvert par l’Homme, les chiffres, les lettres, les signes, les symboles (…) ou l’étymologie des mots et des syllabes, révèlent d’eux-mêmes l’instrumentalisation perverse que nous en avons tirée. Un tel retour à la source de l’expérience et des maux qu’elle engendre implique donc d’affronter le palais doré de la bonne conscience, où s’abiment les gouvernants autant que les gouvernés. Deux obstacles s’opposent à cet exercice de déconstruction pourtant salutaire :
- En premier lieu l’orgueil, dont l’IMAGE du pouvoir est un précieux anneau qui dégrade son état de santé.
- Et en second lieu la culture du simple, notamment véhiculée par les IMAGES et globalement par une technocratie qui paradoxalement demeure extrêmement COMPLEXE… Culture de la simplification qui nous pousse à dénier les complexités que nous avons pourtant engendrées en imaginant pouvoir nous émanciper des lois de la nature et en édifiant une entité sociale toute puissante censée nous servir et nous faciliter la vie.
Faits de chiffres et de lettres, nos systèmes d’exploitation ont bien changé pense-t-on, hypnotisés par les plus récentes mises à jour… Pourtant, à l’école ou dans la rue, Caïn tue toujours Abel, le père abuse toujours du fils et le fils tue encore le père tout en reproduisant les mêmes erreurs - en version « passage à l’acte » et faits divers ordinaires, la version dernier cri, celle qui fait déjà fureur au sein de la génération Alpha qui prendra dans quelques temps la relève de la génération Z.
Miroir, oh miroir, dis-moi si je suis le « King » de l’arène, dis-moi que je ferai le buzz…
Dans les années 70, les stars du moment pouvaient facilement prévoir le quart d’heure de gloire d’une nouvelle génération d’opportunistes aptes à profiter du new deal médiatique ! Un ruissellement d’argent et de notoriété pour les premiers arrivants, agrémenté de sexe, de drogue et de rock’n roll… A court et moyen termes, avec un prix à payer collectivement sur le long terme.
Indéniablement, nous vivons dans la culture du paraître et de l’IMAGE, image au centre du pouvoir, image organisatrice du travail et des loisirs, image animée et douée de langage grâce à nos « progrès » technologiques, image omniprésente, sur nos pièces de monnaie, dans la demeure, dans la rue, au travail (…) et dorénavant sur des écrans portables qui ne nous quittent plus… Privez-vous d’images, refusez toute image de marque et passez-vous des différents objets (inertes et pourtant auto/mobiles) qui « véhiculent » votre image au sein d’une réalité arbitraire qui nous conditionne tous - et c’est la mort sociale ASSURÉE, sans GARANTIE de survie physique.
L’image et les illusions cultivées par l’orgueil humain sont adorées par l’empereur autant que par la foule.
Il en résulte une servitude réciproque qui enchaîne l’offre et la demande, les influenceurs et les influencés, ou plus globalement la relative connaissance à la relative ignorance. Une prison « gravitationnelle », un trou noir dont nulle lumière naturelle ne semble pouvoir ressortir, une masse critique se nourrissant de la relation maître/esclave…
Dans cette mécanique infernale l’argent est un nouveau Dieu conceptuel, une main invisible toute-puissante, qui domine toute loi et toute nature. Sous son règne absolu l’exploitation intensive de la matière compense la servitude de tous et les souffrances indicibles qu’elle engendre.
Il s’agit donc d’un cercle vicieux, d’un puits sans fond auquel nous sacrifions toutes nos énergies connues, dont les ressources vitales, disons transformables, ne sont pas illimitées.

Le pouvoir des nombres, l'horloge et le processeur - l'IA de L’Homme bête et son image omniprésente :
Pour conclure cet article et illustrer ce phénomène de notre temps, l’apocalyptique citation de Jean de Patmos me semble plus qu’appropriée :
« Il fut même donné [à la seconde bête] d’animer l’image de la [première] bête, et l’image se mit à parler et elle faisait mourir ceux qui refusaient de l’adorer. Elle amena tous les hommes, gens du peuple et grands personnages, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, à se faire marquer d’un signe sur la main droite ou sur le front. Et personne ne pouvait acheter ou vendre sans porter ce signe : soit le nom de la bête, soit le nombre correspondant à son nom ».
Épilogue :
Bien que les leçons de nos ancêtres soient tombées en désuétude, les pères fondateurs de nos architectures linguistiques avaient compris le pouvoir fascisant du langage lorsque ce dernier est instrumentalisé par les intérêts particuliers de l'orgueil humain. Notons que pour ces maîtres à penser, capables d'unifier les versants perceptibles, sensibles et intelligibles de l'univers qui nous entoure et nous constitue, l'expérience du pouvoir selon l'Empire romain constituait un "terrible" et révélateur champ d'investigation ! Une source d'information inestimable pour ouvrir des perspectives et prévoir le futur de la masse humaine conditionnée par l'abus d'autorité. Disons-le autrement : le futur d'une masse attirée par une gravité qui n'a rien d'une constante universelle déterminée par la nature elle-même, mais tenant plus vraisemblablement de l'illusion du libre arbitre humain détaché de la détermination causale.
Il s'agit ici de comprendre que les métaphores et les allégories véhiculées par nos ancêtres (par la tradition orale ou écrite), ne signifiaient en aucun cas que notre futur "apocalyptique" était écrit d'avance, tel un plan défini par Dieu et auquel nul ne pourrait échapper. Bien au contraire, ces leçons de vie constituaient un avertissement à l'endroit de l'orgueil humain, aveuglé par ses propres spéculations et prophéties en tout genre... Des avertissements porteurs de la détermination des lois universelles et indiquant 'qu'un jour ou l'autre, un prix prévisible devra être payé pour nos manquements aux principes de cause à effet. Une dette annoncée non par une intention divine quelconque, mais par la simple conséquence logique de la persistance dans le déni de nos erreurs et de nos abus de pouvoir(s). Autrement dit, un avertissement responsable, dispensé à une humanité montrant d'elle-même les signes d'une crise d'adolescence suicidaire.
Gardons à l'esprit que les mensonges de l'autorité religieuse ont toujours relevé et relèvent encore d'une compromission politique ou d'une tendance réactionnaire arbitraire. En laissant nos textes fondateurs et les traditions primordiales tomber en désuétude, au nom d'une liberté illusoire et d'un matérialisme débridé, nous avons brûlé "la grande bibliothèque", perdu de précieuses pistes sémantiques, accepté que l'on nous conte une nouvelle Histoire (...) et donné libre cours au développement fasciste du pouvoir du langage. Pouvoir du langage et multiples langages du pouvoir, désormais instrumentalisés sans scrupule par quiconque sait dompter le Hardware et imposer son Soft avec une main de fer ou un gant de velours.
Déconstruire et réparer
CAB
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